Par Carine Trenteun pour Culture 31, publié le 15 janvier 2022

Je donne la parole au collectif Vacarme(s) Films qui a réalisé le documentaire Fedayin, le combat de Georges Abdallah. Georges Abdallah est l’un des plus anciens prisonniers d’Europe. Ce film retrace son engagement, son emprisonnement et la lutte pour la libération, et « ne relève pas de l’hagiographie mais ambitionne plutôt d’être un outil pour (mieux) comprendre le contexte politique et social dans lequel s’inscrit le combat de Georges Abdallah », comme le précise le Cinéma Utopia Borderouge qui projette le film et accueille Vacarme(s) Films le mercredi 18 janvier, dans le cadre du Festival Cinéma & Droits de l’Homme.
Le documentaire fait partie des coups de cœur d’Arnaud Clappier pour la gazette n°274.https://www.youtube.com/embed/XKYHVTI6dmw?feature=oembed

Pouvez-vous présenter le collectif Vacarme(s) Films ?

Le Collectif Vacarme(s) Films est né il y a un peu plus de deux ans. Nous nous sommes d’abord rassemblé.e.s à travers un engagement politique commun, en particulier celui du soutien au peuple palestinien et naturellement pour la libération de Georges Abdallah auquel des membres du collectif rendent visite régulièrement depuis plusieurs années. Nous sommes parti.e.s du constat qu’il n’existait aucun documentaire retraçant le parcours de Georges Abdallah et qu’il était donc nécessaire de réaliser un film qui puisse être un outil d’information et de mobilisation. C’est donc autour de ce premier film que le collectif s’est constitué. Composé de professionnel.le.s et non-professionnel.le.s de l’audiovisuel, Vacarme(s) Films défend l’idée d’un processus de travail collectif et souhaite avant tout mettre en avant le propos du film.

Combien de temps a nécessité l’écriture du scénario ?

Les premières discussions au sujet de la réalisation d’un film sur Georges Abdallah ont eu lieu fin 2018, de retour de la manifestation nationale pour sa libération qui se déroule tous les ans devant la prison de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, où il est enfermé. Le processus d’écriture s’est fait collectivement avec pour idée directrice de raconter l’histoire de Georges Abdallah sans tomber dans un travail hagiographique mais plutôt d’expliquer les raisons pour lesquelles un communiste libanais est enfermé en France depuis plus de 37 ans. Il a donc fallu écrire l’histoire de Georges Abdallah en revenant sur celle du peuple palestinien, ces deux dernières étant étroitement liées. Le travail de documentation, de recherche et d’écriture a duré environ 6 mois, mais s’est poursuivi au moment du tournage et bien évidemment lors du montage.

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Combien de temps de tournage ?

Le tournage s’est étalé sur un peu moins d’un an dont une bonne partie a été effectuée à travers des entretiens à Bruxelles, Berlin, Paris et Toulouse mais aussi lors de l’été 2019 au Liban où le collectif s’est rendu, notamment dans les camps de réfugié.e.s palestinien.ne.s qui sont devenus une composante centrale dans le film. D’un point de vue technique, ce tournage a été l’occasion pour une partie du collectif, de se former notamment à la prise de son qui a été réalisée par une non-professionnelle. Cette volonté de partager les expériences tant au niveau de l’écriture que du tournage fait partie d’une démarche politique importante pour le collectif qui défend l’idée qu’un film est un ouvrage collectif, à une époque à laquelle « l’œuvre individuelle » est sacralisée.

Comment avez-vous choisi les intervenants ? Avez-vous eu des refus ?

Des années de mobilisation pour la libération de Georges Abdallah nous ont permis d’entrer facilement en contact avec sa famille investie dans la campagne libanaise pour sa libération, en particulier à son frère Robert, un des narrateurs du film. Robert nous emmène sur la route d’un autre frère Abdallah, Maurice ; ainsi qu’à la rencontre d’un ancien élève lorsqu’il était enseignant dans une école du nord du Liban, Moustapha Ibrahim ; mais aussi un de ses anciens camarades dans les camps, Mohammed Slimane.
Mais raconter l’histoire de Georges Abdallah impose de se tourner vers celle du peuple palestinien et sa résistance face à la colonisation contre laquelle il a combattu. Pour le comprendre, il a donc fallu nous entretenir avec des personnes qui permettent au film d’osciller entre la « petite » et la « grande » histoire. Nous nous sommes donc adressé.e.s à des personnes engagées de longue date dans le soutien à la Palestine, – c’est le cas de Charlotte Kates, avocate et coordinatrice internationale du réseau de soutien au prisonnier.e.s palestinien.ne.s Samidoun -, ou de Palestiniens eux-mêmes, tels que Mohammed Khatib, réfugié palestinien et Khaled Barakat, écrivain et coordinateur de la campagne « Free Ahmad Sa’adat ». L’histoire de Georges Abdallah, c’est aussi l’histoire de la lutte armée au Liban, mais aussi en Europe puisqu’il a décidé de poursuivre son combat avec les Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises (FARL) en France, considérée comme complice de l’occupation du Liban et en Palestine. Pour revenir sur les liens avec les organisations de lutte armée européennes, le choix de Jean-Marc Rouillan, ancien membre d’Action Directe, ancien co-détenu de Georges Adballah et figure de la guérilla urbaine en France s’est imposé. Nous sommes également allé creuser du côté de la Belgique avec Bertrand Sassoye, ancien membre des Cellules Communistes Combattantes en Belgique, ancien prisonnier politique et l’un des tous premiers à s’être mobilisé pour la libération de Georges Abdallah.
Enfin, l’histoire de Georges Abdallah est également celle d’une affaire d’État et d’une justice d’exception, celle de son arrestation en 1984, son procès en 1987 jusqu’à l’acharnement dont il est encore victime aujourd’hui. Son avocat, Jean-Louis Chalanset revient sur toute cette histoire qui ne serait être complète sans parler de la mobilisation pour la libération de Georges Abdallah et l’apport de Suzanne Le Manceau, membre de la Campagne unitaire Île-de-France.

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Pourquoi ne pas avoir donné la parole à ceux qui ont œuvré, directement ou non, au maintien en prison de Georges Abdallah ? Je pense aux journalistes de l’époque qui ont relayé les informations du Ministre de l’Intérieur sans les avoir vérifiées, ou à Laurent Fabius, qui reçoit un mail d’Hillary Clinton qui fait pression pour que Georges Abdallah ne soit pas libéré ? ou Emmanuel Valls dont l’inaction conduit à la poursuite de son incarcération pourtant possible ?

Les personnes qui sont responsables de l’enfermement de Georges Abdallah et qui œuvrent aujourd’hui à son maintien en détention ont accès à des tribunes publiques régulières. Nous connaissons donc leur point de vue, et leur actes. Dans ce sens, la parole d’un Manuel Valls pour ne citer que lui, n’aurait été d’aucun apport dans notre film. Mais au-delà, notre démarche s’inscrit dans un travail documentaire politiquement engagé. Nous considérons que la voix du colonisateur ne peut pas être mise sur le même plan que celle du colonisé. Fedayin, le combat de Georges Abdallah donne la parole aux personnes qui luttent pour la libération de Georges Abdallah et qui luttent en soutien au peuple palestinien. C’est un choix résolument politique.

Pourquoi ne pas avoir abordé le fait que Jean-Paul Mazurier l’avocat de Georges Abdallah, a reconnu avoir travaillé pour les services secrets français, et donc trahi son client, sans que la validité du procès ne soit remise en cause ? Cela confirme bien que, dès le début, son avenir ne dépend plus des lois.

Dans la réalisation de ce film, il a fallu faire des choix tant l’histoire est dense et complexe. L’un de ces choix a été de centrer le film sur les aspect politiques du parcours de Georges Abdallah pour mieux comprendre son engagement, ses convictions ainsi que les circonstance de son emprisonnement et de son enfermement aujourd’hui. Nous n’avons donc pas souhaité nous attarder trop longuement sur l’histoire judiciaire, – truffée d’irrégularités, comme vous le soulignez, il aurait fallu en faire un film -, qui est secondaire dans une affaire avant tout politique.

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Au moment du montage, combien d’heures de rushes disposiez-vous ?

Il est difficile de vous donner précisément la nombre d’heures de rushes, probablement quinze ou vingt heures. En revanche, une matière importante qu’il a fallu traiter au cours du montage sont les archives. Elle ont été d’un apport considérable. Les archives de l’INA, Sonuma, Aamod, etc. et de rares archives palestiniennes nous ont permis de mettre en image une histoire qui nous fait voyager du Liban en Europe en passant bien évidemment par la Palestine, mais aussi une histoire d’aller-retours entre passé et présent. Le montage s’est fait en une dizaine de semaines auxquelles il faut ajouter le travail de sous-titrage, – le film étant disponible en français, arabe, anglais, allemand, espagnol, italien et bientôt en truc, grec et farsi -, la création d’un DVD, etc. Le travail de post-production s’est donc étalé sur plusieurs mois.

Votre documentaire se présente en trois parties : le rappel du contexte historique en Palestine et au Liban, l’arrestation-le procès-sa tentation, puis son maintien en détention alors que sa libération est possible, avec la lutte révolutionnaire qu’il poursuit en prison et les soutiens extérieurs pour le libérer. Dans d’autres documentaires, le contexte historique est souvent rappelé par des cartons, et dure généralement moins de cinq minutes. Pour votre film, c’est la partie la plus grande avec 36 minutes. Saviez-vous dès l’écriture que ce rappel historique, très complet, serait si long ou c’est au montage que sa durée s’est imposée ?

Le film se découpe à notre sens davantage en deux parties principales : l’histoire de Georges Abdallah au Liban et son histoire en Europe avec pour transition, l’action des FARL sur le sol français ponctué par son procès en 1987. Pour comprendre les raisons qui poussent un jeune Libanais à prendre les armes et intégrer les rangs de la résistance palestinienne au Liban, puis poursuivre son combat en Europe, il faut revenir sur le contexte historique dans lequel s’inscrit ce parcours. Il faut comprendre le lien entre la Palestine et le Liban, revenir sur la Guerre civile, les intérêts des puissances impérialistes dont la France, etc. Tout ceci a exigé effectivement de remonter dans le temps et de consacrer une première partie historique que nous souhaitions explicative. Nous savions dès le début que cette séquence était incontournable mais également qu’elle ne pouvait être détachée de l’histoire palestinienne actuelle. C’est la raison pour laquelle, toujours dans le souci de lier le passé au présent, le film s’ouvre sur des images de Gaza tournées en 2018 et que le virage du film, – le passage en France -, s’opère depuis les camps de réfugié.e.s palestinien.ne.s mobilisés aujourd’hui, élément central dans le parcours de Georges Abdallah.

Comment le film a-t-il été financé ?

Nous avons ouvert un financement participatif qui nous a permis de récolter suffisamment d’argent pour acheter les droits d’exploitation des archives, notre principal dépense, et rémunérer deux techniciens que sont l’étalonneur-colorimétrie et le mixeur son. C’est donc grâce aux dons des particuliers et d’organisations politiques que nous avons pu financer ce film. Plus largement, la production a été rendue possible grâce à beaucoup de solidarité.

Quelle est la vie du film ?

La première projection a eu lieu fin mai 2020 dans le cadre du festival Ciné Palestine Paris. Depuis, plus de cent projections en eu lieu en France et à travers le monde. Nous essayons d’accompagner le plus possible la tournée du film qui continue en ce début d’année, notamment avec trois projections prévues au Festival Cinéma et Droits d’ l’Homme Occitanie en ce mois de janvier. Le film a également été sélectionné dans plusieurs festivals de cinéma. Cette diffusion va au-delà de ce que nous espérions donc c’est un belle réussite pour ce premier film et pour le collectif. Nous espérons que cette première production en appellera d’autres et réfléchissons à un prochain film.

Affiche

Mercredi 18 janvier 2022 : projection du film Fedayin, le combat de Georges Abdallah au Cinéma Utopia Borderouge en présence de Vacarme(s) Films, dans le cadre du Festival Cinéma & Droits de l’Homme.

Fedayin, le combat de Georges Abdallah
Toutes les projections du film à retrouver ici.
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Carine Trenteun

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