Article de Marina Da Silva pour Orient XXI, paru le 21 octobre 2020

Un documentaire refait l’enquête de la condamnation de Georges Ibrahim Abdallah, le plus ancien prisonnier politique, détenu en France depuis 36 ans, pour exiger sa libération. En salle le 22 octobre.

«Fedaï vient du mot arabe fida qui signifie le sacrifice». Ainsi posé, Fedayin, le combat de Georges Abdallah, réalisé par le collectif Vacarme (s) films s’attache à contextualiser les années de lutte armée ayant conduit à l’arrestation et l’emprisonnement du militant communiste libanais qui n’a jamais renié ses principes et son engagement. Le film est construit autour d’une riche documentation d’images d’archives, dont certaines sont inédites en France, et des témoignages et analyses de ses proches au Liban et en France : ses deux frères, son avocat, ses camarades de lutte, des militants mobilisés pour sa libération et d’anciens prisonniers politiques comme Jean-Marc Rouillan (Action directe) ou Bertrand Sassoye (Cellules communistes combattantes, Belgique), entre autres.

La caméra démarre par un travelling sur une foule qui gronde le 14 juillet 2019, devant l’ambassade de France à Beyrouth. Les manifestants, nombreux, sont révoltés devant cette incarcération qui dure depuis 35 ans et fait de Georges Ibrahim Abdallah le plus ancien des prisonniers politiques en Europe. En France aussi, depuis que le militant pouvait prétendre à une libération conditionnelle dès 1999 qui lui aura été refusée une dizaine de fois, son statut d’otage d’une politique de complicité et d’allégeance avec les États-Unis et Israël n’est plus mis en doute et a fait grossir la mobilisation. En particulier depuis 2013, où sa libération conditionnelle, actée par les juges d’application des peines, est bloquée par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, qui refuse de signer son arrêté d’expulsion vers le Liban.

Un combat payé au prix fort

Georges Abdallah a été arrêté en 1984 pour détention de faux papiers. À l’époque, «on est dans un tout autre contexte politique, les peines étaient beaucoup moins fortes, l’arsenal des lois antiterroristes n’existait pas encore», souligne son avocat, Jean-Louis Chalanset, et son accusation aurait dû lui valoir une condamnation minimale. C’était sans compter avec la vague d’attentats déclenchés à Paris entre 1985 et 1986. Ils étaient revendiqués par le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient (CSPPA) qui exigeait sa libération ainsi que celle d’Anis Naccache. Ce dernier avait tenté d’assassiner Chapour Bakhtiar, ex-premier ministre du chah d’Iran, en 1980.

Le CSPPA cherchait aussi à faire pression sur la France pour qu’elle cesse son soutien à l’Irak dans la guerre Iran-Irak. Le gouvernement français faisait profil bas devant l’Iran, mais le ministre de l’intérieur Charles Pasqua n’hésitera pas à désigner comme coupables les deux frères de Georges Abdallah, Robert et Maurice, faisant placarder leurs portraits partout. L’ensemble de la presse reprend unanimement l’accusation, alors que les deux hommes n’avaient pas quitté le Liban !

C’est dans ce contexte qu’un nouveau chef d’inculpation vient opportunément frapper Georges Abdallah à qui on reproche d’avoir trouvé, dans un des domiciles qu’il a occupés, des armes ayant servi à l’assassinat, en 1982, à Paris, de Charles Ray, attaché militaire de l’ambassade des États-Unis, et de Yacov Barsimentov, membre israélien du Mossad. Lors de son procès en assises, en 1987, devant une cour spéciale, dans une défense de rupture, il ne reconnaît pas les accusations portées contre lui, mais ne se désolidarise pas des actions de guérilla et dénie la légitimité des juges à se prononcer sur le combat anti-impérialiste. Le procureur requiert une peine d’emprisonnement de 10 ans pour «complicité d’homicide», mais il sera condamné à perpétuité. Un acharnement qui n’allait pas se démentir tout au long de sa détention, mais n’a pas fait plier Georges Abdallah. Il n’aura cessé de manifester sa solidarité, notamment par des grèves de la faim, avec divers prisonniers politiques — surtout palestiniens — qui sont aujourd’hui près de 7 000 dans les geôles israéliennes.

Centralité de la cause palestinienne

Depuis toujours, le combat de Georges Abdallah est inséparable de celui pour la cause palestinienne. Il la découvre dans le nord du Liban où il est né, à Kobeyat, et où il verra se former les camps de réfugiés chassés après la Nakba. Devenu enseignant, il exerce auprès d’une population démunie de tout en s’y dévouant totalement, et se forge ce qu’à l’époque on nomme une conscience de classe. Il choisit de partager la vie des Palestiniens en s’installant dans le camp de Nahar El-Bared, près de Tripoli. Très vite, il rejoint le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), puis se déplacera au sud lors de l’invasion israélienne, et sera blessé en 1978. C’est la traversée de la guerre civile libanaise, dont l’apogée à Beyrouth fait plus de 25 000 morts. En août 1982, 10 000 fedayin quittent le Liban, abandonnant la population à la droite libanaise soutenue par Israël qui allait conduire au massacre de Sabra et Chatila.

Georges Abdallah se détache alors du FPLP pour fonder les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), persuadé qu’il faut porter le combat au cœur des métropoles impérialistes pour défaire l’étau criminel qui broie les peuples du Proche-Orient. Cette option veut aussi placer la gauche européenne devant ses responsabilités et rencontrera une certaine adhésion, puisque de nombreux groupes engagés dans la lutte armée en Allemagne, en Italie, en France, en Belgique et au Japon afficheront leur soutien à la résistance palestinienne.

Toujours détenu à la maison d’arrêt de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, où des manifestations régulièrement organisées pour sa libération viennent lui rappeler qu’il n’est pas seul, Georges Abdallah paie le prix fort d’un combat politique qui a changé d’échelle et de règles. Montrer à l’opinion publique qu’il a plus que payé de manière disproportionnée son engagement, replacer son combat et celui des siens dans la continuité de la lutte pour la libération de la Palestine était une nécessité.

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